art culture littérature FORST Roger

LE LIBRE PENSEUR

RECONNAIS-TOI,-TOI–MÊME

 

                Que ceux qui s'inquiètent se rassurent, je n'ai rien découvert de révolutionnaire, ni en morale, ni en philosophie. Je n'ai même pas pu approfondir le peu de connaissances que je possède sur les théories et les systèmes. En définitive, je connais peu de choses. Je n'ai découvert que moi-même et mes pensées ne sont que des aveux.

                De même que dans la structure inexplorée d'une matière pénétrée, le savant découvre avec stupéfaction suivie d'une admiration enthousiaste, une coordonnée nouvelle reliant le schéma universel, j'ai localisé dans le grand inconnu de moi-même, dans les profondeurs mystérieuses de la conscience, plus d'une évidence d'amour et de bonheur rejoignant mes certitudes et ma clairvoyance, et illuminant les beautés de la vie.

                Assez de théories et de morales, assez de maximes et de sentences, à retenir et à appliquer. Ce n'est pas avec des principes stériles que l'on élève la pensée et qu'on vit d'une vie meilleure et plus belle. La vie ne peut se faire qu'avec le pouvoir de fécondation de la pensée.

                Dogmes et religions, vieux ou jeunes, qui prétendent nous guider et nous donner la paix du cœur et de l'esprit  sans quoi le bonheur est impossible, n'ont de valeur que pour les âmes qui n'ont pas su s'élever au-dessus d'eux et qui peuvent sans volonté propre se soumettre à leurs lois d'idéal et de certitude.

                Mais cela ne convient pas à l’homme libre qui ne peut croire aux clartés incertaines des dogmes et à leur apothéose légendaire, qui ne trouve point dans les commandements et les pratiques religieux la force de vivre et la consolation de souffrir. Aussi, lorsqu'on est dans les ténèbres de l'univers avec si peu d'intelligence et cinq misérables sens, on erre  inévitablement en de longs tâtonnements, on se trompe trop souvent et trop facilement de direction avant d'aboutir au carrefour où jaillit l'inspiration, l'intuition, l'illumination qui aspire à la vérité, si on y parvient !

                D'autres hommes y sont parvenus sans doute, mais aux leurs, ceux qui conviennent à leur besoin d'aimer et de vivre. Si salutaire, si commode, si admirable qu'ils soient, ils ne pourraient convenir à tous, si ces carrefours ne donnent pas accès à une voie qui n'ait la juste quantité de soleil et d'ombre qu'ils désirent, si la montée est trop longue et la descente trop raide pour eux.

                On pourra peut-être obliger le libre penseur à suivre une quelconque misérable morale, qui n'est au fond que la raison du plus fort, mais il lui sera permis de considérer cette obligation comme un odieux abus de force et de se défendre par tous les moyens en son pouvoir, car vouloir obliger quelqu'un à suivre une voie qui est contraire à celle que recherche sa nature intime, c'est à sa vie même qu'on attente.

                Malgré les lois générales, ce sont  les lois particulières et surtout les exceptions qui  n'ont jamais pu être éliminées. Loin de disparaître, elles persistent à travers tous les courants de civilisation en civilisation, de siècle en siècle, et ce sont ces lois distinctes et les exceptions, parmi toutes les autres, qui de tout temps et pour toute chose ont servi et constitueront toujours la référence, le point d'appui, l'antipode et l’échappatoire.

                Assez des conseils intéressés ou non, des braves gens qui forts d'une longue expérience acquise, selon les directions de leur morale personnelle, veulent imposer aux autres ces mêmes directions. Bien intentionnés ou mal, leur raisonnement moral personnel est différent de celui du libre penseur, et par conséquent, tendant à l'engager dans des voies différentes, et s'il se laisse entraîner, le réduira à l'esclavage intellectuel pire que la mort.

                Du moment que les lois fondamentales de toute nature humaine changent, tout change, les valeurs varient et transmuent.

                Mais la diversité ne doit pas nous empêcher de rejoindre les autres avec leurs moralités, à les aimer finalement, et compléter le grand schéma de l'humanité.

                On aime bien que ceux que l'on comprend bien. Nous ne pourrons être moralement utiles aux autres que dans la mesure où nous cherchons à les comprendre. Il nous faut faire abstraction de nos propres vues et voir avec les yeux des autres, car leurs vérités qui nous paraissent moins vraies et moins belles que les nôtres, ne sont pas moins vraies et moins belles. Juger les vérités des autres d'après les nôtres, c’est s'engager dans une erreur fondamentale, c'est se tromper. C'est pour cette raison que nous sommes méprisables dans notre mépris. D’ailleurs, en reconsidérant  nos jugements avec un recul suffisant, ils font place généralement, à une douloureuse tristesse ou à une immense pitié, nous serions incapables de prononcer les mêmes sentences.

                Le libre penseur n'étant de morale commune, sa conduite est incomparable. Plus il est intellectuellement élevé, plus son bonheur sera spirituel et par conséquent, incompréhensible pour ceux qui seront moins élevés. Mais malgré la concordance de niveaux, nous sommes encore des êtres différents, nos raisons d'aimer et de vivre varient selon la nature intime. Il est donc de notre devoir de déterminer nos propres raisons d'aimer et de vivre, selon notre propre nature intime c.à.d. la somme d'aspirations, et de penchants innés, et par dessus tout, tempérés par notre raison, donc contre toute convulsion instinctive.

                Pour nous les libre penseurs, si nous désirons à faire régner dans nos cœurs un peu de lumière et de tranquillité, il nous faut nous connaître, mous analyser, nous interroger et observer nos raisons comme les marins observent les étoiles pour se diriger sur les mers. Nous devons suivre notre pensée et notre cœur où qu'ils nous mènent, dans la pauvreté ou dans la richesse, dans l'ouragan ou le calme ensoleillé, sur les hauteurs ou dans les profondeurs, car ils ne peuvent nous conduire ailleurs que vers le vrai bonheur.

                Le libre penseur ne peut accepter une action ou une pensée qui ne découle de sa loi intime. Or s'il commet un acte qui soit contraire à cette loi, il se prépare une souffrance et s'éloigne de sa vérité qui conduit au bonheur.

                Le libre penseur refuse d'entrer dans le moule à fabriquer les pantins obéissant aux mêmes ressorts et dont le cœur, le cerveau et les bras fonctionnent suivant le vouloir des maîtres.

Lui seul, est maître, prêtre, et dieu de lui-même.



21/06/2014
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